13  Allemagne: l’investissement public au chevet de la croissance

Perspectives 2025-2026, analyses pays

conjoncture
Allemagne
Europe
Autrices, auteurs & résumé
Par
Affiliation
Céline Antonin
Publié le

9 avril 2025

Modifié le

15 avril 2025

Graphique 13.1. Allemagne, principaux indicateurs économiques

13.1 2024: deuxième année consécutive de récession

En 2024, le produit intérieur brut a reculé de 0,2 % par rapport à l’année précédente; fin 2024, il se situait à peine au-dessus de la moyenne de 2019 (graphique 18.1). Cette piètre performance s’explique par trois facteurs : une faible consommation privée malgré le dynamisme du revenu disponible réel ; la baisse de production de l’industrie manufacturière, notamment liée à la perte de compétitivité-prix ; la crise dans le secteur de la construction avec une perte d’un cinquième de la valeur ajoutée entre le quatrième trimestre 2019 et le quatrième trimestre 2024.

Si la consommation publique a fortement progressé (+3,5 % en 2024), les dépenses de consommation privée des ménages sont restées limitées, n’augmentant que de 0,3 % en 2024, malgré la progression soutenue du revenu disponible réel (+1,5 % en 2024), porté par des salaires réels dynamiques (+2,9 %). Ainsi, les ménages ont privilégié l’épargne en raison de l’incertitude économique et d’une conjoncture morose sur le front de l’emploi marquée par l’augmentation du taux de chômage ; le taux d’épargne a ainsi progressé d’un point pour s’établir à 11,4 % en 2024. En 2024, la forte croissance des salaires et l’affaiblissement de la productivité ont entraîné une très forte augmentation des coûts salariaux unitaires réels. Mais en réalité, il s’agit d’une normalisation, étant donné les baisses de salaires réels passées liées à la résurgence de l’inflation1. Sur le front de l’investissement privé, la FBCF s’est contractée de 2,6 % en 2024, avec une chute particulièrement marquée de l’investissement en machines et équipements (-5,1 % en 2024). Dans la construction, la FBCF a également reculé de 3,2 % en 2024 ; en revanche, le quatrième trimestre est en progression, en partie grâce aux conditions météorologiques clémentes. En 2024, la contribution du commerce extérieur à la croissance allemande a été fortement négative (-0,6 point), notamment en raison d’un recul des exportations. Ainsi, au 4e trimestre 2024, les exportations de biens et services ont considérablement baissé (-2,2%) par rapport au 3e trimestre 2024, malgré le dynamisme de la demande mondiale. Cela découle de la perte de compétitivité de l’industrie allemande, notamment vis-à-vis de la Chine : en 2024, les exportations de biens vers la Chine étaient inférieures de 20 % à leur niveau de 2019 (graphique 13.2). Par ailleurs, la divergence s’accroît entre l’évolution de la valeur ajoutée brute en volume dans l’industrie manufacturière et dans le secteur des services. Au quatrième trimestre 2024, la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière a baissé de 0,6 %, soit la septième baisse consécutive.

1 Le niveau des salaires réel au quatrième trimestre 2024 est encore inférieur de 1,2 % à son niveau du quatrième trimestre 2019.

Graphique 13.2. Solde bilatéral Allemagne-Chine

13.2 Une reprise progressive, qui s’accélère en 2026

Les élections fédérales du 23 février 2025 ont placé la CDU-CSU en tête des suffrages, avec 28,6 % des voix. Le chef de file de la CDU, Friedrich Merz, pressenti comme futur chancelier, a conclu un accord de principe pour former une coalition avec les sociaux-démocrates du SPD, arrivés en troisième position. Cet accord de gouvernement marque un tournant majeur pour la première économie européenne ; il prévoit notamment un investissement massif dans les infrastructures et dans la défense, ce qui devrait stimuler l’économie allemande à court terme et augmenter le potentiel de production à long terme (encadré 17.1). Ainsi, nous inscrivons une impulsion budgétaire de 1 % du PIB en 2026, qui se traduirait par un surcroît de croissance de 1 point.

En 2025, le PIB stagnerait ; la faiblesse de la conjoncture et le niveau élevé de l’incertitude pèseraient encore sur l’investissement, mais ces freins se lèveraient en 2026. Ainsi, l’Allemagne devrait connaître une reprise en 2026 avec une croissance de 1,5 % : outre la politique monétaire moins restrictive, c’est l’augmentation des investissements publics et privés qui soutiendrait la croissance. Etant donnée la forte dégradation du cycle de productivité depuis 2019, l’essentiel de cette croissance se traduirait par des gains de productivité par tête, et l’emploi stagnerait entre le dernier trimestre 2024 et le dernier trimestre 2026, avec pour corollaire une augmentation du taux de chômage (de 3,4 % à 3,8 % entre 2024 et 2026). Sous l’effet de la relance budgétaire, le déficit public devrait se creuser, atteignant 3,1 % du PIB en 2026, et la dette publique devrait passer de 63,3 % du PIB en 2024 à 65,2 % en 2026.

Malgré le stimulus budgétaire, plusieurs éléments pèseront sur la croissance. Le commerce extérieur apporterait une contribution négative : la hausse des droits de douane et la perspective d’une fragmentation accrue du commerce mondial aura un effet négatif sur les exportations allemandes. Par ailleurs, le revenu disponible réel des ménages devrait stagner en 2025, avant de progresser faiblement en 2026. En effet, la baisse de l’inflation – liée en 2025 à la baisse des prix de l’énergie que nous inscrivons en prévision – devrait entraîner une moindre progression des salaires réels. Bien que le retour de la croissance et la baisse de l’inflation plaideraient pour la baisse du taux d’épargne – durablement plus élevé par rapport à la période pré-covid – , ce dernier baisserait très faiblement entre 2024 et 2026 en raison de l’incertitude économique et de l’augmentation du taux de chômage. Au total, la consommation privée augmenterait de 0,4 % en 2025 et 0,8 % en 2026.

Le 14 mars 2025, un accord a été trouvé entre les chrétiens-démocrates de la CDU/CSU, les sociaux-démocrates du SPD, et les Verts pour voter un plan d’investissements massif dédié aux infrastructures et à la défense. Cet accord nécessitait un amendement de la Constitution (Grundgesetz) et devait donc être approuvé par les deux Chambres parlementaires à la majorité des deux tiers. Le 18 mars, le texte a été adopté par la majorité sortante du Bundestag, puis le 21 mars par le Bundesrat. Le texte prévoit trois mesures : 1) les dépenses dédiées à la défense ne seront soumises à la règle du frein à l’endettement que jusqu’à 1 % du PIB, les montants au-delà de cette limite pouvant être financés par des emprunts ; 2) un fonds spécial pour les investissements dans les infrastructures et la neutralité climatique sera inscrit dans la loi fondamentale(a). Ces fonds ne sont pas pris en compte dans le frein à l’endettement et doivent être financés par des crédits à hauteur de 500 milliards d’euros sur 12 ans ; 3) les Länder pourront à l’avenir s’endetter à hauteur de 0,35 % du PIB, alors que la limite était fixée à zéro jusqu’alors.

A partir de ces informations, il existe une grande incertitude sur les montants investis en 2025 et 2026. Nous faisons l’hypothèse que les dépenses de défense, qui représentaient 2,1 % du PIB en 2024, atteindront 2,5 % du PIB en 2026, soit une dépense supplémentaire de 6 milliards d’euros en 2025 et de 20 milliards d’euros en 2026. Quant aux dépenses d’infrastructures, Dullien et al. (2021) de l’Institut IMK estimaient que le montant des investissements nécessaires à la modernisation de l’Allemagne atteignait 460 milliards d’euros cumulés sur dix ans, dont 100 milliards uniquement pour le réseau ferroviaire(b). Etant donné le temps nécessaire à la mise en œuvre de ces projets d’infrastructures – notamment ferroviaires et routières - , nous faisons l’hypothèse d’un investissement public de 20 milliards d’euros en 2026 (0,5 % du PIB). Si l’on ajoute les autres mesures budgétaires, l’impulsion pour 2026 atteindrait 1 % du PIB. Avec un multiplicateur budgétaire proche de l’unité(c), cela contribuerait à relever la croissance allemande d’un point, notamment à travers les canaux de l’investissement privé et de la consommation publique (tableau 13.1).

Tableau 13.1. Impulsion budgétaire et effet économique
2025 2026
Mesures énergie −0,1  0,3
Autres mesures structurelles  0,0 −0,2
Dépenses militaires  0,1  0,5
Infrastructures  0,0  0,5
TOTAL  0,0  1,0
Multiplicateur budgétaire  0,9  1,0
Effet économique  0,0  1,0
  1. Les fonds spéciaux (Sondervermögen) sont des budgets exceptionnels créés en dehors du budget fédéral ordinaire, souvent destinés à financer des projets spécifiques comme la modernisation de l’armée ou la transition énergétique, sans affecter directement les règles strictes d’endettement de l’Allemagne. Il en existe 29 et le plus ancien date de 1951.

  2. Dullien, S., Jürgens, E., Paetz, C. et Watzka, S. (2021). Makroökonomische Auswirkungen eines kreditfinanzierten Investitionsprogramms in Deutschland, IMK Report, 168, Mai 2021.

  3. Le multiplicateur budgétaire est calculé comme la somme pondérée des multiplicateurs associés à chaque type de mesure.

Tableau 13.2. Prévisions 2025-2026 pour l’Allemagne
en %
2024
2025
de 2024t3
à 2026t4
2024
2025
2026
T3 T4 T1 T2 T3 T4
PIBa  0,1 −0,2  0,1  0,2  0,2  0,2
0 0.52 −0.20 0,1% -0,2% 0,1% 0,2% 0,2% 0,2% 0,5% 0,4% 0,5% 0,5%
−0,2  0,1  1,5
PIB par habitanta  0,1 −0,2  0,0  0,2  0,1  0,2
0 0.50 −0.19 0,1% -0,2% 0% 0,2% 0,1% 0,2% 0,4% 0,4% 0,5% 0,5%
−0,4  0,1  1,4
Consommation ménagesa  0,2  0,1  0,1  0,1  0,1  0,1
0 0.30 0 0,2% 0,1% 0,1% 0,1% 0,1% 0,1% 0,2% 0,2% 0,3% 0,3%
 0,3  0,4  0,8
Consommation publiquea  1,5  0,4 −0,2  0,4  0,4  0,7
0 1.49 −0.20 1,5% 0,4% -0,2% 0,4% 0,4% 0,7% 0,8% 0,8% 0,8% 0,8%
 3,5  2,0  2,9
FBCF totalea,b −0,5  0,4  0,0  0,4  0,5  0,6
0 1.30 −0.51 -0,5% 0,4% 0% 0,4% 0,5% 0,6% 1,3% 1,3% 1,3% 1,3%
−2,6  0,3  4,1
 dont : productive privéea  0,1 −0,4  0,2  0,5  0,6  0,8
0 1.30 −0.43 0,1% -0,4% 0,2% 0,5% 0,6% 0,8% 1,3% 1,2% 1,3% 1,3%
−2,3  0,4  4,2
            logementa −1,1  0,8 −0,5  0,2  0,3  0,4
0 1.20 −1.09 -1,1% 0,8% -0,5% 0,2% 0,3% 0,4% 1% 1,2% 1,2% 1,2%
−4,9 −0,8  3,3
            APUa,b −1,6  2,9  0,3  0,4  0,4  0,4
0 2.94 −1.58 -1,6% 2,9% 0,3% 0,4% 0,4% 0,4% 1,6% 1,6% 1,6% 1,6%
 2,7  1,9  4,7
Exportationsa,c −1,9 −2,2  0,3  0,2  0,2  0,2
0 0.50 −2.24 -1,9% -2,2% 0,3% 0,2% 0,2% 0,2% 0,4% 0,4% 0,5% 0,5%
−1,0 −2,0  1,4
Importationsa,c  0,6  0,5  0,2  0,3  0,4  0,5
0 0.70 0 0,6% 0,5% 0,2% 0,3% 0,4% 0,5% 0,6% 0,7% 0,7% 0,7%
 0,3  1,8  2,3
Demande intérieurea,d,e  0,4  0,2  0,0  0,2  0,2  0,3
0 0.61 0 0,4% 0,2% 0% 0,2% 0,2% 0,3% 0,5% 0,6% 0,6% 0,6%
 0,4  0,7  1,9
Variations de stocksa,e  0,9  0,8  0,0  0,0  0,0  0,0
0 0.88 0 0,9% 0,8% 0% 0% 0% 0% 0% 0% 0% 0%
−0,0  1,1  0,0
Commerce extérieura,c,e −1,1 −1,3  0,0 −0,0 −0,1 −0,1
0 0.047 −1.27 -1,1% -1,3% 0% 0% -0,1% -0,1% -0,1% -0,1% -0,1% -0,1%
−0,6 −1,7 −0,4
Inflationf  2,2  2,6  2,4  1,5  1,4  2,0
0 2.56 0 2,2% 2,6% 2,4% 1,5% 1,4% 2% 2,4% 2,3% 2,1% 1,8%
 2,5  1,8  2,1
Taux de chômageg  3,5  3,4  3,5  3,6  3,7  3,8
0 3.80 0 3,5% 3,4% 3,5% 3,6% 3,7% 3,8% 3,8% 3,8% 3,7% 3,7%
 3,4  3,7  3,8
Solde couranth  5,7  4,5  4,0
Déficit publich  2,2  2,5  3,1
Dette publiqueh 63   64   65  
Impulsion budgétairei −0,9  0,0  1,0
Sources : Destatis, prévision OFCE avril 2025.
a En volume, aux prix chaînés. b FBCF : Formation Brute de Capital Fixe ; APU : Administrations Publiques. c Biens et services. d Demande intérieure hors variation de stocks. e Contribution à la croissance du PIB. f Evolution de l'indice des prix de consommation harmonisés (IPCH, sauf USA et France IPC). Pour les trimestres, glissement annuel (T/T(-4)) des prix. Pour les années, croissance moyenne annuelle des prix. g Au sens du BIT, en % de la population active. Pour les trimestres moyenne trimestrielle, pour les années, moyenne annuelle. h En % du PIB annuel, en fin d'année. i Variation annuelle du déficit public (APU) primaire structurel, en points de PIB.